Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Monique Lanne-Petit, directrice et cofondatrice de Télécoms Sans Frontières. Elle nous parle de ses débuts dans l'humanitaire, de ce qui l'anime encore aujourd'hui, des éléments clés de sa carrière et de son expérience en tant que femme dans les crises humanitaires.

Call to Comms: Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l'action humanitaire ?

Monique Lanne-Petit : Quand j'étais jeune, j'ai demandé à mes parents d'aider les enfants d'autres pays. J'ai eu la chance de vivre ici en France, j'étais consciente de mes privilèges, même si je n'étais pas issue d'un milieu aisé. A la maison, la porte était toujours ouverte.

Je pense surtout que les rencontres m'ont permis d'entrer dans l'humanitaire, plus particulièrement avec Jean-François, cofondateur de Télécoms Sans Frontières. Il ne suffisait plus de dire que l'on voulait aider, il fallait agir.

Il ne suffisait plus de dire que nous voulions aider, il fallait agir.

Nous avons pu effectuer notre première mission lors de la première guerre du Golfe. Nous voulions intervenir auprès des réfugiés, aller voir ce qui se passait sur place et connaître les besoins réels de ces populations.

Nous avons également eu l'occasion de rencontrer nos partenaires actuels. Au fur et à mesure, nous avons créé Télécoms Sans Frontières, car il nous semblait important de donner une voix à ces personnes, souvent isolées et ayant vécu des événements difficiles. C'est pour cela que je me suis engagée dans l'humanitaire.

Call to Comms: Et qu'est-ce qui vous pousse à continuer aujourd'hui ?

Monique à Madagascar, en 2020.

Monique Lanne-Petit : Je pense qu'il y a un tel fossé entre les populations les plus vulnérables et les populations qui s'enrichissent, donc je pense que nous avons encore un rôle à jouer. Les collaborations sont utiles, le travail avec les populations locales est de plus en plus important.

Il y a aussi l'équipe globale : L'équipe TSF, mais aussi des partenaires opérationnels, des partenaires financiers qui sont en empathie avec ce que nous faisons. Je pense donc que même si parfois cela semble être une goutte d'eau dans l'océan, il est essentiel de pouvoir poursuivre cet engagement.

Call to Comms: Si vous deviez partager quelques moments forts de votre parcours ?

Monique Lanne-Petit : Je pense que je serai toujours marquée par les premières missions en ex-Yougoslavie, quand j'avais 24 ans. Les hommes étaient partis à la guerre, alors les femmes ont été mobilisées pour aider. Même si elles étaient aussi victimes de la guerre, il y avait cette mobilisation, cette solidarité.

Ces femmes ont beaucoup apprécié que nous venions les soutenir, car elles ont senti qu'elles n'étaient plus seules. Elles se battaient tous les jours, sous les bombes. Nous avons pleuré ensemble, mais nous avons aussi ri ensemble et nous avons essayé de les aider.

Nous avons pleuré ensemble, mais nous avons aussi ri ensemble et nous avons essayé de les aider.

Je pense qu'une autre chose qui m'a frappée, c'est l'interaction avec les enfants après une catastrophe naturelle ou un conflit. Certains d'entre eux sont très joyeux malgré tout, il y a une vie qui reprend même dans les situations de combat. D'autres sont fracturés, très fracturés, alors comment leur donner de l'espoir ? Et même si les actions que nous menons ne font pas tout, je pense que nous les aidons à retrouver l'espoir.

Avec TSF, nous avons pu donner l'opportunité à des personnes aux profils techniques de trouver leur place dans le secteur humanitaire. Pouvoir apporter des informations aux populations en transit est très important et de plus en plus fréquent. Il est également gratifiant de sensibiliser nos partenaires de l'industrie des télécommunications. Ils sont très conscients de ce que nous faisons, et ils sont vraiment prêts à nous aider.



Call to Comms: Avez-vous ressenti, en tant que femme, au cours de votre carrière, une difficulté dans le travail humanitaire ?

Monique au Burkina Faso, en 2012.

Monique Lanne-Petit : Je pense qu'il faut toujours prouver davantage ses compétences quand on est une femme, mais quand on a une équipe qui vous met en avant, c'est plus facile.

Il faut toujours prouver davantage ses compétences lorsqu'on est une femme.

En Irak, au Pakistan, nous avions parfois des obligations vestimentaires que les hommes n'ont pas nécessairement. Nous devions également faire attention à la manière dont nous communiquions avec certains hommes, ou parfois nous devions passer par nos collaborateurs masculins pour faire passer un message. Nous avons donc envoyé les hommes pour cela, mais cela n'a jamais entravé mon travail sur le terrain. Évidemment, en tant que femme qui souhaite qu'il n'y ait pas de différence de traitement fondée sur le sexe, c'est frustrant. Nous devons changer les choses.

Cela m'a beaucoup gênée lorsque, lors de missions humanitaires, en tant qu'occidentale, je pouvais me retrouver au milieu d'hommes, être la seule femme dans la pièce. D'un autre côté, leurs femmes étaient à côté et après je pouvais les rejoindre, alors que mes collègues masculins n'étaient pas acceptés.

Call to Comms: Est-ce que vous considérez cela comme une force en tant que femme dans le travail humanitaire, le fait d'être capable d'atteindre les bénéficiaires féminins ?

TSF au Kenya, en 2012.

Monique Lanne-Petit : Lors de certaines de nos opérations téléphoniques, les femmes passaient par les hommes pour téléphoner. S'il y avait une femme derrière le téléphone, elles venaient plus facilement. C'est plus facile pour une femme d'avoir des contacts avec des femmes, quelle que soit la culture.

Nous savons très bien que les équipes mixtes sont importantes, précisément pour pouvoir approcher les femmes, pour être sûrs que les femmes s'expriment sur leurs difficultés, leurs besoins. Ainsi, vous tenez compte de leurs besoins spécifiques, de leur contexte et vous pouvez les inclure dans la réponse finale.

Les équipes mixtes sont importantes pour approcher les femmes afin qu'elles s'expriment sur leurs difficultés, leurs besoins.

Selon les cultures, les femmes sont plus ou moins réticentes à parler aux hommes, d'où l'importance de faire une analyse préalable, afin d'avoir les codes qui nous permettent d'avoir une réponse. La collaboration avec le personnel local est également essentielle à cet égard.

L'écoute, qui est une qualité encouragée chez les femmes, est également importante dans le travail humanitaire. Je pense que c'est une qualité qu'il faut défendre.